L'étoffe du vent


 

Il vide son sac de mots sur le sable. Il se rendort. Le voyage a été facile, long et facile.

Dans l'oasis les mots se laissent glisser sur le lit de sable, entre les petits ruisselets, dans les puits minuscules qui se creusent, ils s'enfoncent, plongent, basculent, se soulèvent. Ils restent ainsi ensablés, désordonnés et tranquilles.

Le sac vide, le dormeur est reparti sur son nuage. Regarde comme la vie crapouille, dit-il en prenant de la distance. L'autre, qui le rejoint, se glisse contre son flanc. Ils voient ensemble la vie qui scintille et roule comme une pâte mûrissante. Tu vois, dit l'un, d'ici, la vie elle regorge de couleurs, elle fleurit.
Elle a tout ce qui se peut inventer, dit l'autre.
Elle étale des vagues douces et limpides, tandis qu'ils s'éloignent, chevauchant leurs élégants nuages.

Dans le brouhaha d'avant-concert, les mots s'ébrouent, piaffant ou s'étirant, remuant leurs invisibles partitions. Ils se mettent en voix. Ils libèrent les effluves des chaleurs de bibliothèques, les bourdonnements de ruches, les échos d'hôtels, les murmures de nids où ils ont habité, les cris de champs où ils ont glané, les chants des perchoirs d'où ils contemplaient les ciels, les souffles qui les portaient. Sous un geste du vent ils s'immobilisent. Puis tous ensemble, ils se mettent en musique.

Ils se font l'étoffe du vent. Ils s'emplissent du poids des nuages.

Bengt Lindström, poids lourd


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