Elle ne voulait plus se regarder dans le miroir : sa beauté avait disparu, remplacée par un masque éteint, insensible, étranger. Elle était devenue étrangère à elle-même ou plus exactement un masque d'étrangère poussait, faisait surface sur elle, comme une écorce. Elle se rapprochait d'un arbre.
Dans la forêt elle était si belle, quand toutes les couleurs chaudes, brûlantes, rayonnantes de l'automne animaient son visage, et celles du printemps qui la faisaient plus belle, plus lisse qu'une source. Une cerise, une prune, une grappe de raisin étaient à ses pieds, glissant le long de son corps pulpeux, plus doré que le blé, plus finement duveteux que l'amande.
Je m'étais laissé mourir et naître à l'aiguière où fend la lune. Elle m'a mis les mots dans la bouche, leurs poissons jaillissants... Il se promet de la retrouver mais aussitôt comprend qu'on ne réchauffe pas les plats... que les mots de l'horrible guerre, des corps brûlés, des cœurs emmurés... menacent, restent prompts. Ils se réveilleront. Comme des chiens méchants quand tu passes à proximité.
L'heure est au vieux berger. Ses mots paissent dans la prairie et rien ne semble déranger leur bonheur tranquille. Mais la nuit viendra. L'hiver viendra. La sécheresse. L'orage. Les invasions. Tout arrivera. C'est pourquoi les mots n'obéissent qu'en apparence, quand même on leur lâche la bride, quand même on les abandonne dans la prairie bucolique. Ils gardent l'oreille, ils flairent les vents, font leur route, ils sont partout chez eux, ils se cachent, ils s'enfouissent, de près comme de loin ils rejoignent toujours l'homme qui a faim, qui a soif d'eux, de leurs musiques, de leur bain. Ils se livrent bataille. Ils s'aiment. A la vie à la mort.
Elle se rapprochait d'un arbre. Elle tentait de le séduire en toute ingénuité. Mais non pas seulement un arbre, tout ce qui se réveillait forêt, de proche en proche, comme dans une métamorphose à rebours.
Bengt Lindström dans son atelier
Il y a quête et recherche d'osmose. J'ai un mot pour ça : métAMOURphose.
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