Les mains, le livre et le tableau (2)


  Avec Le prêteur et sa femme Metsys montrait l'ouverture, la lumière et l'espace qu'offrait le livre.
Honoré Daumier, dans un art confondant de simplicité, presque sculptural, à l'emporte-pièce, en montre le gouffre impitoyable : Son Don Quichotte lisant s'enfonce dans l'abîme de la folie.
Le livre, que certains ignorent, méconnaissent ou méprisent, exerce sur d'autres plus de fascination que la vie même : en lui seul réside le secret, le mystère, le sens s'il se peut trouver, de la vie.
Pour Don Quichotte, qui est un être caricatural, brut de décoffrage — ce que Daumier ne manque pas de saisir — les livres sont la vie au premier degré, non pas son sens, son reflet, mais la matière même de la vie. Don Quichotte est entier, candide, il ne sait pas lire, lui non plus.
Au XVIe siècle, et même avant, au Moyen Âge, on s'est beaucoup moqué des livres, Cervantès fait de même. On moque en vérité ceux qui ne savent pas lire et sont les victimes de leur crédulité. Il faut pouvoir écrire pour lire et comprendre que le livre est œuvre humaine et qu'il peut être un jeu. Jouer avec le livre c'est jouer la représentation du monde. Et tous les coups sont permis.
Mais, comme diraient les psychanalystes, Don Quichotte a beau être naïf, il n'en a pas moins un inconscient, une face cachée, presque un contraire : c'est ce que montre Daumier. 

« Notre hidalgo s’acharna tellement à sa lecture, que ses nuits se passaient en lisant du soir au matin, et ses jours, du matin au soir. Si bien qu'à force de dormir peu, et de lire beaucoup, il se dessèche le cerveau de manière qu'il vint à perdre l'esprit. Son imagination se remplit de tout ce qu'il avait lu dans les livres, enchantements, querelles, défis, batailles, blessures, galanteries, amours tempêtes et extravagances impossibles : et il se fourra si bien dans la tête que tout ce magasin d'inventions rêvées était la vérité pure, qu'il n'y eut pour lui nulle autre histoire plus certaine dans le monde. »

(Miguel de Cervantes, L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche (1605)
extrait du livre Premier, chapitre I, traduction de Louis Viardot)

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