Et quelle grande heure, quelle belle heure
quand la chandelle brûle bien ! Quelle délicatesse de vie dans
la flamme qui s’allonge, qui s’effile ! Les valeurs de la
vie et du rêve se trouvent alors associées.
Une tige de feu ! Sait-on jamais tout
ce qui parfume ? [Edmond Jabès].
Oui, la tige de la flamme est si droite, si
frêle que la flamme est une fleur.
Ainsi
les images et les choses échangent leur vertu. Toute la chambre du
rêveur de flamme reçoit une atmosphère de verticalité. Un
dynamisme doux mais sûr entraîne les songes vers le sommet. On peut
bien s’intéresser aux tourbillons intimes qui entourent la mèche,
voir dans le ventre de la flamme des remous où luttent ténèbres et
lumière. Mais tout rêveur de flamme monte son rêve vers le sommet.
C’est là que le feu devient lumière. Villiers de l’Isle-Adam a
pris pour exergue d’un chapitre de son Isis ce proverbe arabe :
« Le flambeau n’éclaire pas sa base. »
C’est
au sommet que sont les plus grands rêves.
La
flamme est si essentiellement verticale qu’elle apparaît, pour un
rêveur de l’être, tendue vers un au-delà, vers un non-être
éthéréen. Dans un poème qui a pour titre Flamme, on lit :
Pont de feu jeté entre réel et irréel
co-existence
à tout instant de l’être et du non-être.
Jouer de l’être et du non-être avec un
rien, avec une flamme peut-être seulement imaginée, c’est là,
pour un philosophe, un bel instant de métaphysique illustrée.
Mais
toute âme profonde a son au-delà personnel. La flamme illustre
toutes les transcendances. Devant une flamme, Claudel se demande :
« D’où la matière prend-elle l’essor pour se transporter
dans la catégorie du divin ? » (L’œil écoute)
Ces mots sont extraits de "La flamme d'une chandelle" de Gaston Bachelard. Touchante délicatesse du vénérable philosophe. Au fil des pages, la rêverie le ramène dans l’imaginaire de l’enfance :
Parfois ma bonne grand-mère, d’une
chènevotte adroite, rallumait, au-dessus de la flamme, la lente
fumée qui montait le long de l’âtre noir. Le feu paresseux ne
brûle pas toujours d’un seul trait tous les élixirs du bois. La
fumée quitte à regret la flamme brillante. La flamme avait encore
tant de choses à brûler. Dans la vie il y a aussi tant de choses à
réenflammer !
Et
quand la sur-flamme reprenait existence, vois, mon enfant, me disait
la grand-mère, ce sont les oiseaux du feu. Alors, moi-même rêvant
toujours plus loin que paroles d’aïeule, je croyais que ces
oiseaux de feu avaient leur nid au cœur de la bûche, bien caché
sous l’écorce et le bois tendre. L’arbre, ce porte-nids, avait
préparé, tout au cours de sa croissance, ce nid intime où
nicheraient ces beaux oiseaux de feu. Dans la chaleur d’un grand
foyer, le temps vient d’éclore et de s’envoler.
Mais le philosophe épris de poésie s'enflamme et disqualifie sans ménagements un beau texte de Blaise de Vigenère comme étant une « comparaison » en non une « image ». Y a-t-il là quelque sacralité à l'égard de la poésie, ou un excès de formalisme. Il me paraît hasardeux de vouloir trop définir le poétique. Souvent Bachelard se fait l'écho de conceptions assez objectivantes de Jung des "archétypes" et de la "symbolique". Or la poésie n’obéit pas en réalité à des conditions objectives de production (procédés, vocabulaire ou théorie de l’imaginaire), c’est plutôt dans la surprise, l’insolite qu’elle induit chez le lecteur qu’est sa présence. Suscitée par l’imagination de l’auteur, elle est parachevée par celle du lecteur, elle n’a pas en elle-même de réelle objectivité. Voici cette page à propos de Vigenère, qui est l’objet de ma contestation :
Avant de dire les exploits de l’imagination
poétique, peut-être faut-il redire qu’une comparaison
n’est pas une image. Quand Blaise de Vigenère compare
l’arbre à une flamme, il ne fait que rapprocher des mots sans
vraiment réussir à donner les accords du vocabulaire végétal et
du vocabulaire de la flamme. Enregistrons cette page qui nous paraît
un bon exemple d’une comparaison prolixe.
A
peine Vigenère a-t-il parlé de la flamme d’une bougie, qu’il
parle de l’arbre : « En sens pareil (à la flamme) qui a
ses racines attachées à la terre, dont il prend son nourrissement
comme le lumignon fait le sien des suif, cire ou huile qui le font
ardoir. La tige qui suce son suc ou sève est de même que le
lumignon, où le feu se maintient de la liqueur qu’il attire à
soi, et la flamme blanche sont ses branches et rameaux revêtus de
feuilles ; les fleurs et les fruits où tend la fin finale de
l’arbre sont la flamme blanche où tout se vient réduire. »
Tout
au long de cette comparaison étalée, jamais nous ne saisirons un
des mille secrets ignés qui préparèrent de loin l’explosion
flamboyante d’un arbre fleuri.
Nous
allons donc tenter de prendre, en suivant les poètes, les images en
poésie première, quand elles naissent d’un détail digne d’être
magnifié, d’un germe de poésie vivante, d’une poésie que nous
pouvons faire vivre en nous.
Ce texte ne fait pas que rapprocher des mots, ne compare pas de façon explicative, mais véritablement associe, ou substitue l’image de l’arbre à celle de la flamme. Ce texte danse à son rythme, dans son langage habité de verbes d’action très expressifs (dont le dernier « se vient réduire » évoque avec bonheur cette sorte d’éclosion d’une nouvelle matière, fleur ou fruit). Bachelard ne semble pas y être sensible, ce que je respecte, mais il pouvait s’abstenir d’une argumentation à charge censée mettre en valeur par opposition la conception de style plus moderne qu’il tient pour « poésie première », « poésie vivante ». En réalité elle n’en détient pas l’exclusivité et c’est d’ailleurs avec grande justesse que Bachelard en appelle, pour finir, à « une poésie que nous pouvons faire vivre en nous » (et le texte de Blaise de Vigenère, pour moi, y parvient tout à fait.)
Gaston Bachelard, La flamme d'une chandelle, 1961
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