Nuit et jour


 

Il ne sait plus rien du tout.
Certes le corps qu'il est continue. C'est bien là la seule certitude. Mais rien n'est plus incertain que son devenir. Des excroissances abdominales, une détérioration dentaire, et puis ces perturbations du sommeil, les intempestives douleurs des nerfs, bref, tout ce qu'il espère c'est un peu de lenteur dans la dégradation, un possible masquage des dégâts, une capacité à prendre en charge à mesure.
Et puis aller vers l'inconnu — c'est ce qui le réjouit, perdre les pédales, se perdre dans l'inconnu.
Comme l'enfant dans la forêt des contes.
L'air frais est étonnement agréable sur le visage — le rectangle noir de la fenêtre ouvert sur la nuit étonnement mat. La plupart des étoiles ont disparu ou se sont réduites à un scintillement infime, dispersé dans la matité du noir qui semble vivre — ce grand rectangle vertical de la fenêtre-nuit à la base duquel il est allongé — et aller vers la certitude d'une aube nouvelle.
Il embarque — dans la lenteur, il ne veut rien précipiter. Le monde tel qu'il a été — toutes les choses en cours — doit se laisser bouleverser, les pièces du puzzle lui tomber des mains. Au ralenti — imagine-t-il. 

Au fond d'un étroit couloir ouvert sur la rue, il y a une femme dans l'ombre, assise sur une cuvette de wc qui me fait face. Elle a l'air assez âgée, elle parle d'une belle voix grave. Je crois d'abord qu'elle lit, mais cela concerne la lecture qu'elle vient de faire, comme des recommandations, une marche à suivre, un art de faire élaboré. Puis elle est près de moi et notre conversation engagée nous rapproche. Elle a un beau visage, plus jeune que je ne l'aurais cru, lisse et fin, profilé à la manière d'un oiseau, et un seul œil, c'est très gracieux. Je vois l'autre œil maintenant dans cette même partie lisse. Un oiseau ou peut-être un profil égyptien. 

Alors que la nuit est devenue bleue, des étoiles scintillent merveilleusement, peu nombreuses, quelques unes brillantes, bien définies sans doute pour qui les connaît, d'autres, têtes d'épingles, éclats de diamant minuscules. Le bleu de la nuit s'éclaircit sensiblement, atténue, avale peu à peu le semis de diamants.
En bas la clarté de l'aube apparaît à l'horizon, piquée de quelques étoiles d'argent encore.
Tel est le temps de la création — étonnement tranquille.
Un air frais délicieux à respirer, encore, juste avant l'afflux bruyant et pollué des voitures.
Dans la fenêtre un rectangle de soie lavande se découpe et semble s'éclaircir.
Un corbeau qu'il ne voit pas le salue en passant de trois larges notes graves. Le jour sera propice.

Peinture de Victor Brauner

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