Docilement.
C'est avec ce mot que je lui rendis la parole.
Il le prit aussi bien qu'un autre. Docilement. C'était dans ses cordes. Il le fit glisser de branche en branche, d'un long mouvement d'archet.
L'arbre respirait. J'entendais son souffle, large et fin, discret comme celui d'un chat.
Je lui rendais son silence. Nous étions de même mystère maintenant.
Je le regardais bouger. Il dansait du bout des branches aussi bien que du tronc et des hanches, les bras ballants, les épaules solides et souples, toute sa stature en éveil, librement, sans l'emprise d'un cerveau dominateur.
A le regarder je m'endormais dans ses ombres. Je rêvais des rêves d'écureuil ou de pintade.
C'est lui qui m'a accueilli dans cette maison.
On peut trouver étrange qu'un arbre, depuis la propriété voisine à quelque deux cents mètres de là, soit le véritable responsable de mon installation. Je ne regardais plus le prix ni les autres conditions de la location. Je voulais emménager tout de suite, le soir même. Ce que je fis.
Je n'avais pas vraiment conscience que c'était lui, mais quelque chose m'avait accueilli, avait mis fin à mon errance.
Le grand cèdre est dans les fenêtres ouest. Je ne l'ai plus aussi continument en point de mire lorsque je suis à la cuisine, je ne pense plus autant à lui. Je l'ai tellement observé, photographié, considéré, contemplé ces dernières années qu'il est entré, que nous sommes entrés l'un chez l'autre.
Il se remet de la perte de plusieurs branches énormes cassées par le poids de la neige il y a quelques années, ce qui lui a valu de grosses amputations. Lentement il regagne une majestueuse envergure.
Avec lui je vis un profond compagnonnage.
Nous sommes allés nous chercher comme deux frères de destin au fond de profondes pérégrinations qui nous rapprochèrent d'étape en étape, nous faisant nous entrevoir, nous intéresser l'un à l'autre. Ou bien est-ce moi qui pense cela car lui n'a pas de pensée, ni même d'individualité propre. Il procède d'images plus que d'idées. Il est multiple. Il se matérialise, prend corps d'arbre lentement, patiemment, obstinément. S'envole aussi, aérien, comme nous les hommes, un beau jour. Et reparaît ailleurs.
Des frères, des pères, des compagnons — perdus ou méconnus — c'est lui qui a peu à peu incorporé les liens manquants, ou blessés.
Maintenant je lui donne la parole.
Je lui rends le silence. Je l'écoute. Ou plutôt : je le regarde. N'usant du langage que pour transmettre à d'autres humains le prolongement des sens. Comme un gazouillis d'oiseaux.
Albert Marquet, pin à Alger, 1932
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