Si dans une de mes fenêtres (à l'ouest), il y a ce mur rose qui change de couleurs selon le temps qu'il fait, dans une autre (à l'est), c'est un petit rectangle, près du sommet de la montagne, qui fait office de baromètre. Il se découpe distinctement sur le paysage, visible en toute saison. Premier l'hiver à se vêtir de blanc sur la pente boisée encore sombre, il annonce la saison neigeuse. Il peut fondre du jour au lendemain et réapparaître tout aussi vite. À flanc des Monts du Matin, marches du Vercors, le "pré de cinq sous", comme on l'appelle, dit les caprices de la météo. Vert, jaune, gris, par temps pluvieux ou orageux, depuis toujours il porte sur son dos, pour les gens d'ici, les annonces du temps.
La fenêtre ouest se trouve juste à l'opposé, dans la cuisine. Elle offre au regard un vaste paysage de toits et de façades où s'insèrent quelques arbres. Les murs sont des aplats de gris colorés qui s'habillent, se déshabillent comme des baigneurs à la plage, selon le soleil ou l'ombre, les couleurs d'étoffe ou le corps nu. Au centre du paysage une large découpe de mur rectangulaire, au profil légèrement tiré sur le haut par son toit à double pente, c'est là le mur météo, façade blanche qui offre toutes les variations du blanc éclatant au gris sombre en passant par les roses, pâles ou lumineux, les imprimés, les gravés, les barbouillés — maintenant d'un blanc de craie où se devinent quelques tracés gris sous-jacents. Il était il y a moins d'une heure comme un ciel à fond d'églantine sur lequel passaient des pinceaux vieux rose, ocres, gris, blancs, disputant leurs figures.
Puis ce n'est plus qu'un blanc aveuglant, en plein soleil. Tandis que le ciel au-dessus se barbouille de laits et d'encres, des nuages pâteux se forment en convoi. Des murs jaunes, des découpes de toits brun rouge, des façades de toutes nuances se posent en cadre autour du tableau.
Albert Marquet, 1926
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