Vers un ailleurs


 

   Le pur dégradé de l'aurore glisse du clair mandarine à l'horizon jusqu'aux hauteurs bleues qui semblent se répandre dans l'infini. L'émotion esthétique à son comble est difficilement supportable et tu entres en action, tu te fonds dans le mouvement de ta tâche, devenue une part entière du jour, devenue consciente — c'est à dire littéralement se sachant avec ce qui l'entoure, ce qui lui est autre.
Voilà qui aide à vivre, à trouver l'énergie, à capter, à recevoir, comme le bateau la force du vent et de la vague bleu sombre du matin, fraîche et puissante, émouvante, prête à retourner, à fendre ou fondre l'obstacle, à glisser en lame, en aile d'oiseau, en cri. Que serions-nous, que serait Maupassant sans la mer, Matisse sans la feuille et la fleur ? Que serait le violon sans l'âme qui vient respirer en son creux ?
Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? La grandiloquence du romantisme, l'exaltation de la musique wagnérienne, le silence recueilli de l'ombre dans un tableau de Vallotton sont autant de langages et chacun, chaque mot, n'existe que pour nous libérer, nous emmener vers un ailleurs.

Félix Vallotton, Le Ballon (ou Coin de parc avec enfant jouant au ballon ), 1899, musée d'Orsay, Paris.

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