J'ai pensé, pour la réédition de "Chagall ou la longue lettre au fils" à une nouvelle 4e de couv. qui ferait apparaître plus clairement cet aspect de l'écriture d'Isabelle Pouchin qui la rapproche des peintres, qui fait que de la lire nous glisse les mains dans la pâte ou le nez sur la toile, nous ouvre en quelque sorte l'atelier de peinture comme celui d'écriture. Le peintre qu'elle donne à voir ici est Marc Chagall (remarquable aussi est son Basilius Besler, dessinant dans son grand âge, presque éperdu d'amour, les fleurs de son herbier, Claude Monet est le sujet d'un autre de ses livres). J'avais, dans ma précédente présentation de ce Chagall ou la longue lettre au fils, évoqué en une phrase la touche singulière de l'écriture d'Isabelle, mais d'une manière dont je crains maintenant qu'elle ait pu passer pour seulement métaphorique :
Ce roman est un long poème narratif dans lequel l'œuvre de Chagall est omniprésente. Le tragique, le rêve, le doux, l'amer et jusqu'à la matière même des couleurs s'y engouffrent, donnant corps à une langue fraîche et vivace. 
Mais lorsque le narrateur écrit à son fils avec cette urgence intime, depuis sa prison, et qu'il en viendra à lui parler de Chagall, il a d'emblée une façon de broyer des couleurs, sur son cahier, pour faire la pâte, ou la pâtée, à donner à son grand oisillon de fils. Cette prison, à la faveur d'un cahier, devient l'atelier de peinture-écriture. Voici un aperçu extrait des premières pages de l'histoire :
«   Ce cahier, tu penses bien que c'est une
aubaine
seulement, je ne sais pas s'ils comptent me 
laisser écrire bien longtemps
alors avant d'écrire quoi que ce soit, je pèse et 
repèse la manière, je laisse le gros alambic de 
l'esprit distiller tout ça 
je veux que chaque mot soit l'écrin parfait à 
une pensée, la peste — qui ne cesse de se 
dérober, de caner, de s'embourber dans des 
complications 
ça fuse, ça cale, tu n'arrives pas à donner une 
forme ; merde ! 
or pour toi, je veux le meilleur et comme je ne 
sais pas combien de temps on va me permettre 
ce luxe, et comme un cahier, c'est vite rempli ; 
comme je ne sais pas si j'en aurai un autre et 
comme je n'ai pas de gomme, j'écris d'abord 
dans ma caboche, je mêle tout dans ce pot, 
le gros, l'amer, le drôle, la glace et le pain
ça serait bien le doux avec,
ça serait bien
quand je suis assuré que cette soupe est 
mangeable, vrai, alors seulement, je noircis 
la page. J'écris très serré, pour t'en mettre 
beaucoup.  »
Isabelle Pouchin, Chagall ou la longue lettre au fils, éditions Gaspard Nocturne, 2013
Marc Chagall, Les deux pigeons, gouache, 1927.

L'ekphrasis, donner à voir le pictural au moyen du scripturaire. La gageure d'une traduction!
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