Les visions d'Aharon Appelfeld

 


   Tout d'un coup je les ai sentis comme des enfants. Les martinets. Alors que je suis avec un livre, attablé chapeau d'été sur la tête et torse nu dans les effluves du soir qui entre. Tout le soleil à fenêtre ouverte. Et dans le silence murmurant des pages, les rescapés des camps sont avec leur vie décharnée de tout vécu, leur vie nue. C'est alors que j'entends les martinets comme des enfants. Et peut-être est-ce aussi Théo ou Madeleine qui les entendent ainsi, dans le livre ou à mi-chemin du livre et du soir d'ici. Car Aharon Appelfeld laisse planer son écriture jusqu'ici avant de refermer ses phrases. Docile aussi à sa traductrice, accueillant toutes les visions qui le traversent. Je suis dans sa sphère. La vie nue, c'est elle qui a rapproché les martinets des enfants.
Et soudain je me remémore que dans l'après-midi je suis passé près d'un endroit d'où fusaient des cris d'enfants joyeux semblables à ceux, suraigus, des cours de récréation. Si depuis toujours je les entends comme des cris de martinets, jamais encore je n'avais eu cette vision, épurée, que l'enfance elle-même peut être dans ces cris.

Aharon Appelfeld, Des jours d'une stupéfiante clarté.
Photo Ahmed El Fazazi, Fleurs sauvages de l'Atlas, printemps 2016

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