Son image, mon cerveau la filme dans une rue de Prague ou d'ailleurs
(parce qu'elle fut dans bien des villes), ou dans une cellule de
prison, dans un camp, ou dans ce petit appartement de réfugiés à
Montréal — elle comme elle se dit dans son livre*
et je l'imagine vive, combative, silencieuse, jeune aussi, avec une
part d'insouciance, renfermant les malheurs qu'elle connut —, sinon plus
tard usée, affaiblie, frigorifiée de faire face à l'insurmontable
resurgi, longtemps caché.
Si elle me traverse, cette nuit, marchant
dans une rue mouillée, ou assise dans un vieux fauteuil, elle n'est pas
la seule. J'ai vu aussi, tombée dans le rêve — car je sais
maintenant qu'on tombe dans le rêve... après avoir vécu dans la vie des
autres, on tombe dans leurs rêves.. C'est de plusieurs de celles-ci que
je me réveille ce matin. Elles, que le récit vient ensuite dissocier de
ce qu'elles portaient de lumière, de source, de glaise et de flamme. Et mon récit venu
dérouler ce qui n'était qu'image revient brusquement au point de
départ, la guerre. Le viol de guerre écrasé dans l'indicible.
C'était encore la nuit mais déjà remuée par la lumière du jour, attrapant le fil du temps... Au petit matin un oiseau chante l'identité retrouvée... Un merle au son fluide et filé. Je me savais, comme lui, musicien-couturier. Je l'aimais ce donneur d'identité, je l'aimais ce chant. La lourde matière du bronze, c'était sa forêt aussi, sortie des mains du sculpteur.
* Promenade au lac des cygnes de Lenka ReinerováSculpture de César, 1954

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