La vue de la fenêtre de ma cuisine ne me plaît pas moins que la vue de Delft de Vermeer, aussi subtile dans ses changements de lumière de jour en jour, d'heure en heure, de saison en saison. Il y a un grand pan de mur qui passe du rose au blanc, à tous les gris mêlés, brouillés, mélangés, ornés de taches ou de traces, un petit arbre par-ci par-là qui émerge des façades et des toits avec son vert, plus jaune, plus noir, en aile d'oiseau, en palme, en collerette bouffante, le tout sous un ciel, chez moi comme chez Vermeer, qui occupe largement les deux tiers du tableau. Évidemment je n'aurais pas besoin d'autre musée, jamais une vie entière ne permettrait de visiter celui-là, plus vaste, différent, fréquenté que nul autre.
Fréquenté, il l'est par tout ce qui vit, chante, danse, par tout ce qui s'accouple d'oiseaux, tourterelles, moineaux, ramiers, tout ce qui s'envole, ce qui tombe de neige, de pluie, tout ce qui rampe, glisse, tout ce qui remue d'étoiles. Je ne suis pas effrayé par ces espaces infinis jamais silencieux car aucun Dieu ne fait espérer son message. La musique explose de toute part, requiert les oreilles et les corps. Son éclosion permanente n'est pas moins vaste que celle de la nature qui m'emporte.
Ce soir, le ciel est peint à l'encre violette sur une clarté d'agrume. En bas, le premier plan découpe un profil continu de toits et façades noirs. Cette phrase — à quoi bon tenter d'en capturer les mots, m'étais-je dit — me réconcilie avec l'écriture, m'apparaissant enfin justifiée dans sa fleur éphémère, tout comme ce crépuscule, cet encrier renversé dont la couleur déjà bleuie s'écoule, se subdivise en une eau pâle sous un substrat nocturne. Puis plus rien.
Photo de François Teyssandier, Meneham, Finistère.
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