Simplement dit

 

Je sais bien où est mon bonheur.
Il est là où viennent mésanges et moineaux sous la fenêtre. Les unes petites perles bleues sont des sources ; les autres, turbulents coureurs, me font repenser au jeu des quatre coins que nous faisions, enfants, dans la cour de récréation. Le bonheur est là, c'est le même, tout excité et attentif que l'on soit, de partager ce vivre.
C'est aussi le livre ouvert sur la table, le marque-page dessiné par l'enfant — quelques traits, quelques ronds, du bleu, du rose, dansant harmonieusement au milieu du texte qui reprend son sommeil léger de Montaigne, Homère, Marcel Conche côte à côte. Même bonheur d'accueillir ces invités-là, venus, sans même le savoir, mus seulement peut-être par un désir inconnaissable.
Et dans le silence maintenant ils se réveillent, les pensées se questionnent comme des montagnes, des mers et des étoiles, tandis que le dessin de l'enfant se met à vivre encore plus beau sur sa carte blanche couchée dans les pages. Le bonheur est où je suis, avec mon corps et mes sens, comme ce bateau, cet arbre, cet air qui se respire. Le bonheur est de hasard. 

Au matin la neige est apparue. Les moineaux sont nombreux à jaillir d'un petit arbre, par groupes de quatre ou cinq, d'un côté, de l'autre, ou dans tous les sens.
Sans eux je ne pourrais parler de bonheur, je ne pourrais parler d'histoire, d'histoire du monde, histoire de ce qui a porté, engendré, animé tout ce qui vit sur Terre, et meurt, disparaît mystérieusement, apparaît magiquement.

Il pleut. Des toits poudrés de neige s'alignent sous un ciel gris. Le rose des maisons, très doux, s'estompe. Le soir tombe. Des lampadaires s'allument faiblement. Un peu de fumée sort d'un toit, encore visible contre les façades et s'éparpille, vite fondue dans le gris mauve du ciel. Par endroits des traits de pluie fine cascadent sous les lampes, tandis que la lumière du jour s'éteint rapidement. Des gens marchent encore nu-tête.

Peinture de Gabriele Münter, 1909

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