Fragments recomposés


 

 Mi-novembre, il fait plus frais aujourd'hui. Le ciel est plein de gris en mélange, à peine bleuté, miroitant dans une fourrure humide. Je prends mon imperméable — ce mot m'étonne et me ravit, je l'entends lisse comme un miroir entre l'humide du ciel et celui du corps.
Un pigeon passe au-dessus de moi, ailes déployées en manteau au bras d'un Georges Braque. Le tilleul d'or, très rond encore, resserre un peu la couleur dans ses feuilles et s'ajoure de noir. Je vais à la gare. Dans ma poche la douceur lisse d'un petit livre de Marcel Conche, je prends place parmi les voyageurs. 

Venus de loin, allant je ne sais où.

Au chapitre "L'âme" des Fragments recomposés, je lis :

« Pour les âmes, mort de devenir eau [...] ». Les âmes meurent. Héraclite ne croit pas à l'immortalité de l'âme. « Mais redevenez donc tous, ici, terre et eau » dit Ménélas (Iliade, VII, 99). À la mort, l'âme et le corps redeviennent eau et terre, c'est-à-dire cadavre.
« Mais de la terre naît l'eau, et de l'eau, l'âme. » L'âme dans le chemin ascendant renaît à partir de l'eau. Or les transformations du feu suivent un chemin indéfini. Par conséquent, de même que dans le passé, des âmes sont mortes en nombre illimité, dans l'avenir, des âmes nouvelles ne peuvent manquer de naître indéfiniment. Mais ce ne sont jamais les mêmes âmes. L'âme de Julien est morte pour toujours.

« Pour ceux qui entrent dans les mêmes fleuves affluent d'autres et d'autres eaux ; et certes, les âmes s'exhalent de l'humide. »
[...]
Nous apprenons maintenant que l'âme naît de l'humide, c'est-à-dire, ici, de l'eau — par exemple l'eau des fleuves, par exhalaison, άναθυμίασις.  Aristote (De anima, I, 2, 405 a 26) précise « exhalaison chaude », et ajoute que l'âme est, pour Héraclite,  « ce qu'il y a de plus incorporel » et qu'elle est « en perpétuel écoulement ».
Dans les fleuves affluent des eaux toujours nouvelles. Les âmes qui s'exhalent de leurs eaux seront donc, elles aussi, toujours nouvelles. Comme la variété et la diversité des eaux sont infinies, il en va ainsi aussi pour la variété et la diversité des âmes. Les âmes sont innombrables et dissemblables à l'infini.

Puis je reprends mon chemin, dans le jour d'automne raccourci.

Peinture de Georges Braque

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