Discrètement

 

A nouveau voici la saison du rat. Je le croyais disparu à tout jamais mais il n'en est rien. Je n'avais fait que sortir de sa peau empruntée un temps pour mes jeux de sociabilité. Cela n'allait pas sans toucher aux profondeurs des métamorphoses, dont le monde animal ou végétal peut nous donner de sidérants spectacles, nous montrer les basculements de corps et de destin, d'une saison à l'autre, la mort, l'hibernation, l'enfouissement, la vie ralentie, ou suspendue dans des latences insoupçonnées... Jamais rien ne peut exister et vivre isolément. Nous, humains, constitués de ce vertigineux univers, nous en sommes aussi le refuge et l'accélérateur.
Je trouve, comme c'est curieux, en ouvrant un placard dont j'avais presque oublié l'existence, un grand manteau gris-noir qui se montre aussitôt familier, bien que je ne le connaisse pas, comme s'il me parlait dans sa langue muette, me rappelait des souvenirs que je n'ai plus mais qui seraient restés un peu collés à ma peau. Je referme le placard, et je demeure, sinon habité, du moins côtoyé par une ancienne vague connaissance. Et ce soir mon crayon continue à imaginer, c'est à dire à relever les ombres couchées au bord du chemin, des arbres, des murailles, bientôt habitées d'oiseaux, tels que j'en ai vus d'étranges tout au long du jour, quand j'y repense. D'abord des étourneaux, des pies, des corneilles, des freux dans l'herbe mouillée, un grand héron tout près de la route, clair dans la brume, immobile et tranquille, une buse énorme sur l'angle d'un hangar, qui s'abat comme un lourd paquet de volailles et reste là dégingandée au sol, l'air inerte. Des merles furtifs, puis un écureuil sur un toit. Ce soir le crayon gris et noir m'enfile comme une manche, qui me revêt presque malgré moi, me prend de la main ces mots du retour des bêtes.
Ce matin à ma fenêtre, l'incroyable silence d'un glissé noir de corbeaux qui me frôlent, dans l'orbe de leur vol vers l'arbre, ou le nuage.
Une mésange minuscule s'est élancée du fusain, enfantine, à la sentir rebondir dans ma main comme la bille que m'a donnée un petit garçon hier.
Trois petits moineaux se projettent en chandelle jusqu'aux toits.
A une branche basse du thuya, une boule claire se balance en cadence, je penche un peu la tête pour voir dans l'ombre le rouge-gorge qui la tapote du bec, à ma découverte il s'éclipse discrètement.

photo r.t

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