Je voulais juste savoir comment on soigne une blessure narcissique. Je suis descendu dans la rue, avec un livre, dans lequel glisser de quoi écrire, papier, crayon. Je n'avais qu'une petite heure de disponible, et la blessure que j'avais ressentie se fermait, je ne pouvais déjà plus la localiser, en percevoir une trace, des effets. Qu'importe, c'est un "comment" que je voulais faire apparaître, ou décrire. Comment guérit-on ? Peut-être pas une méthode, au moins un récit, un conte. Bref, je le sentais bien bref, que ça tenait à peu de chose, que tout allait très vite. Je m'étais aperçu très vite que le livre que j'avais en main, sans l'avoir choisi consciemment, sinon pour sa souplesse, son toucher lisse, sa couleur jaune ocre imprimée de gris, était titré "Les mots du jardin". Un bel à-propos puisqu'il s'agissait de soigner une fleur blessée, un narcisse. J'imaginais le pétale blanc, échancré comme une soie trop tendre et déjà retissé qui ne laissait rien paraître de sa blessure. Je voyais son œil jaune un peu hagard et aussi le visage du jeune garçon penché sur l'eau qui allait se refermer sur lui.
Tout était indolore, après une frayeur angoissante de quelques instants – une honte d'avoir été blessé par un indélicat, un inconnu, écrasant en public ma naïveté du haut de son pouvoir et de sa science, comme si j'étais un poux. Honte de ne pas savoir répliquer de manière intelligente et mesurée. J'ai donc ressenti la douleur.
Je vais m'asseoir sur la place enjouée, sur un de ces grands bancs de bois qui peuvent bien accueillir sept ou huit personnes, la couverture du livre est ornée en son milieu d'un petit tableau sous-titré "Habit de Jardinier", représentant un personnage pouvant évoquer les enluminures du Moyen-Âge, vêtu, à la manière d'un Achimboldo, de légumes, de fruits et feuillages, l'arrosoir à la main, faux, sarcloir, pelle et râteau sur l'épaule, coiffé d'un grand bouquet foisonnant en guise de cheveux.
Comment la blessure avait-elle guéri avant même mes premiers pas au soleil. Avant surtout que je ne puisse l'expliquer, c'était entendu. Venait l'espace de la détente, les pages qui s'ouvrent, celles du livre étaient particulièrement raffinées, celles du parc où s'épanouissaient des enfants, couraient des joies, glissaient des conversations, faisaient réponses, affluaient comme des baumes de couleurs, appelaient le regard à la chorégraphie souple et silencieuse des corbeaux qui regagnaient leur havre du soir.
Parmi mes voisins de banc, le jardinier est campé devant moi. Il est accueillant pour les récoltes, il semble prêt à prêter la main, à secourir la soif, ses pas de danseur agile laissent fuir les crapauds, laisse l'eau se refermer sur les reflets qu'elle capture, et son sourire en dit long sur les chatouilles du soleil.
Nicolas de Larmessin (XVIIe siècle), Gravure, Musée Carnavalet.
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