Cuisine

Voilà que j'ai pris la nuit et que je l'ai retournée sur elle-même.
Je ne suis plus à écrire les yeux fermés, à demi endormi, avec les mots de la nuit, comme je me plaisais tellement à le faire, me croyant complice et inventeur du monde profond. Le monde profond, je l'ai retourné comme le diable ! Toutes les nuits, je les passe maintenant à arpenter la cuisine illuminée de l'ampoule électrique. Je renonce à la nuit puisqu'elle ne veut plus de moi. Elle me rejette, je lui referme son manteau sur le ventre. Tire la fermeture éclair d'un trait. Je l'ouvre et la referme. J'entre et je sors sans plus me soucier d'elle que de mes draps. Dedans-dehors, dehors-dedans, dix fois par nuit, voilà mon nouveau manège. Que va-t-il en sortir ? Quelle métamorphose ?

Encore un jour
Papa ! criai-je souvent dans la nuit sans savoir d'où ni pour quoi m'échappaient ces syllabes familières. Comme une incantation et un élan.
Mais une pudeur, un respect, m'empêchent de les nommer, mes maîtres, ils doivent rester cachés, comme dans l'histoire du vieux caché sous le plancher de la maison, que le fils avait sauvé de la mort rituelle obligatoire, et qui lui servit de conseiller tout au long de son ascension dans la vie. Ces pères, ces maîtres, j'ai bien souvent envie de clamer leur présence, d'avouer au roi sur la place publique leur rôle dans ma solution de toutes les énigmes du conte. Mais je ne le fais pas, car je ne crois pas à la clémence du roi.

Le vert des feuilles soudain doré par le soleil du matin resplendit. Toute la façade de la maison va bientôt flamber de lumière. Par la fenêtre le soleil entre et vient me cueillir dans ma retraite, me saisit comme une crêpe et me retourne de rêverie en pensée, de propos en souvenirs. Des phrases cousues de morceaux me traversent et me racontent la vie qui m'échappe. Le cataclysme des possibles. Le grand livre des mondes. Le jour où je suis sorti de ma place, le jour où j'ai déraillé. J'entends le train qui passe — je suis venu habiter non loin de la gare, par goût, par atavisme familial. Peu à peu je me réveille. Le soleil tourne, me laisse en plan. L'histoire de moi-même — Ah non ! c'est assez ! je ne la ferai pas.

La menthe, le basilic, le persil, ils sont vraiment magnifiques dans les jardinières, le soleil donne à plein. C'est de leur histoire que je devrais parler. Leur transparence verte n'est-elle pas éloquente ? Ainsi au seuil de la poésie quand j'entends passer sur la chaussée le lessivage des rues, quand bêle le troupeau des ponts disait Apollinaire et quand Chagall peignait la tour Eiffel dans un coin de ciel, il y a un siècle, c'est aujourd'hui. Sur la pente du talus les anges tournent leurs robes de laine dans les herbes d'acier et d'émeraude. En bas le trafic joyeux des bus emporte les étudiants et leurs smartphones. Belle rue éclatant comme un fruit mûr à mes pieds. Je n'en veux plus de poésie et pourtant !...

Commentaires

Enregistrer un commentaire