J'observe les joyeuses retrouvailles des hirondelles. Un nouveau groupe de migrants arrivé ce matin, avec le soleil matinal, chaud déjà. Je ne le prends pas comme une coïncidence fortuite, ce double renouveau me suggère plutôt qu'ils sont portés d'un même mouvement, l'atmosphère et les oiseaux.
Un ramier sur une antenne tourne la tête comme moi pour suivre leur vol. Leurs circuits virevoltants ne les éloigne pas beaucoup des deux ou trois pâtés de maisons où nous sommes et où elles ont leurs nids sous les gouttières. Ce sont d'incessantes métamorphoses que leurs battements d'ailes déployées en delta, refermées, rouvertes sur leurs ventres de poisson blanc, noirs pétales, fleurs grises, godillant, tricotant, fusant. Elles s'insèrent dans les danses des martinets, se faufilent au milieu des courses de leurs couples, de leurs trios, sans qu'aucun heurt, qu'aucune erreur de rythme ou d'harmonie ne semble possible. La traversée tranquille des corneilles, des freux, les décollages, les moulinages de tourterelles, tout prend sa place comme dans une peinture de Bruegel ou de Jérôme Bosch.
En bas sur la chaussée le passage des voitures est incessant, leur ronronnement obsédant poursuit ses objectifs.
« Un des derniers chefs-d’œuvre de Bruegel, les Aveugles (Naples, Musée national), date de 1568. Cette toile se passe de toute explication. Le spectateur est saisi d'une émotion profonde qui n'est pas due à une accumulation d'horreur, comme dans le Triomphe de la Mort, ou à une méditation élevée comme dans les tableaux du 16e siècle italien. Le trouble provient du sentiment de catastrophe inévitable qui envahit la procession des six aveugles qui s'avancent à la queue-leu-leu dans la campagne, se tenant par la main ou par leur bâton. Le chef de file est tombé dans la rivière, le second trébuche déjà, le troisième va trébucher. Le quatrième pressent le danger, les deux derniers ne se doutent de rien. Le jeu des physionomies montre la gradation des sentiments. Il n'y a pas lieu d'analyser ici minutieusement les moyens grâce auxquels le peintre est arrivé à rendre le sens de fatalité, l'impression de chute inévitable. Pour les contemporains de Bruegel, cette scène présentait un mélange de ridicule et de cauchemar. Dans toute la tradition du Moyen Age jusqu'à l'époque moderne, les aveugles sont des vagabonds, et ceux-ci, avec leurs haillons et leurs instruments de musique, pour attirer la pitié et la compassion des passants, appartiennent manifestement à l'espèce des mendiants. Au temps de Bruegel, c'était un spectacle banal.»
Citation de Andreas Grote, Pierre Bruegel, Grands Peintres, 1966
Pierre Bruegel, Autoportrait (ou le Peintre et l'amateur), Vienne, Académie Albertina
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