Je suis étonné comme ces moineaux s'entendent bien. Ils sont je ne sais combien de dizaines dans ces quatre ou cinq lauriers plus ou moins alignés en une grosse haie irrégulière. Cachés dans le touffu feuillage ils peuvent être silencieux longtemps ou s'égosiller en rythme à quelques uns de concert. Et quand ils se mettent à piailler bruyamment tous ensemble ça ne me semble pas des disputes mais m'évoque bien plutôt une cour de récréation, une joyeuse excitation presque programmée, en tous cas bien partagée, comme une fête.
Ils font des entrées et sorties toujours surprenantes. Cette masse de feuillage dense est toute en ouvertures cachées. Elle a quelque chose de la poule qui abrite ses poussins sous sa grosse cloche de plumes qui semble infranchissable et pourtant, par surprise, l'une ou l'autre de ces pépiante petites boules jaunes passe au travers pour entrer ou sortir.
Le thuya a des plumes vertes très fines, très souples et serrées sur sa tête en toupet fraîchement ébouriffé, sorti d'une récente coupe de coiffeur pour arbres. Là-dessous il y a un moineau visible dans sa guérite, à se grattouiller dans sa perpétuelle tranquille agitation de moineau. Quelques minutes auparavant s'était posée là, juste au-dessus, sur ces branches flexibles, une corneille, en souplesse, dans son juste-au-corps de cape et d'épée, noir jusqu'au bout du bec et de l’œil, dans une danse de faucheur, courbant comme une serpe au-dessus de l'arbuste, au-dessus de la haie qu'il jouxte et surplombe. Puis se détendant, avec un mouvement balançant des branches, elle s'envole gracieusement, ignorante de sa menace sur le petit monde de la haie.
Un couple de tourterelles turques fouille dans les feuilles mortes sous les lauriers, parmi les moineaux. Ce doit être le même qui aimait naguère se retrouver, à deux pas de là sur une arche métallique, mais que la présence peut-être un peu trop proche ou jugée insistante d'un moineau sur le même barreau avait définitivement délogé.
Pourtant il y a une grands civilité dans ces bois. La diversité et la densité de population ne semble pas poser de problème. Il faut être humain pour se poser des problèmes. Ici, les choses se régulent, visiblement, par la complexité. Homo sapiens, un jour, s'est extrait de la complexité — pour la comprendre, vraisemblablement. Mais de toute évidence, il faut qu'il y retourne, dans sa compréhension, puisqu'il n'en est nullement sorti, de fait.
Revoici la pie, elle vient voir de près quelque chose qu'elle n'avait pas vu. C'est un récipient blanc, il doit contenir de l'eau, elle tourne autour, elle en prend quelques gouttes. Revoici la bisette noire, redescendue de son coin de toit ensoleillé et picorant comme une volaille sous les lauriers, les moineaux ébouriffés sautant, voletant, se trémoussant les uns comme les autres, partant soudain comme des flèches par-dessus les toits, à travers les rues, pour d'autres quartiers ? d'autres jardins ?
Eux aussi sont curieux du monde des humains, de nos cloisonnements, de nos labyrinthes, de nos déchets, des accumulations de nos cités. Ils ne cherchent pas à nous imiter. N'auraient-ils rien à y gagner ?
A l'inverse, ils me font rêver : de mondes plus joueurs, plus colorés, plus attentifs, plus sensibles, moins cruels.
Alechinsky, Dans le plafond
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