Le jour

 

Tous les jours je fais une trouvaille.
Ce que je trouve un jour, un autre jour je le perds. Mais jamais complètement. Je le perds après qu'il m'ait laissé son goût, sa nourriture, l'essentiel de sa substance comme si l'écorce seulement s'en allait, l'apparence — je pouvais perdre la chose, la trouvaille, ce qui m'en restait n'avait plus de matérialité, plus de contour, plus de nom ; c'était une nouvelle façon d'être, un pouvoir, une capacité, un regard.
Aujourd'hui, par exemple, ce que j'ai trouvé (ou peut-être retrouvé) m'a d'abord paru la plus extraordinaire de toutes mes trouvailles. Je pourrais l'appeler l'absence de la mort, ou peut-être la disparition de la mort. C'était la mort partie, c'était cela, ma trouvaille. A quoi cela ressemblait-il... c'est à peine si j'ai eu le temps de le voir, l'apparence disparaissait déjà, la substance s'est donnée presque aussitôt — ce devait être une lumière, une transparence, un rien qu'on saisit entre deux doigts, entre deux cils, un regard instantané : la vie sans la mort (ce qu'elle est toujours, c'est pourquoi c'était bien une retrouvaille, je l'avais déjà intégrée, absorbée, incorporée.) Depuis longtemps, même. Si je la retrouvais, c'était simplement pour en faire usage : un usage partagé puisqu'un ami venait de mourir, laissant son amie désemparée. Mais désemparés nous l'étions — toujours — le temps de retrouver la mémoire. Car la mort n'est que la mémoire.
Et le monde est tellement plein. Il y a deux hirondelles maintenant qui volent autour de la maison, ailes noires, ventres blancs, danse des rues et du ciel, des façades et des nids, lieux traversés, frôlés, filés, caressés comme une dernière fois avant le départ. Derrière moi des musiciens de jazz sont soulevés de génie. Des troupes d'étourneaux traversent le ciel. Le monde serait-il aussi plein sans mémoire... non, ma trouvaille du jour me paraît comme une corne d'abondance qui se déverse, elle me paraît le jour lui-même.

Max Ernst, La cloche, 1967, gravure.

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