Journal de la rue (2)





La neige trop lourde a cassé les arbres, les pylônes électriques, les gens poussés dans leurs tranchées ont perdu les pédales.

Ratine encore crashé en plein trottoir dans les jambes d'un passant. Il ne contrôle plus sa queue. On lui marche dessus, quand il ne se la coince pas dans une grille d’égout ou sous un bac à arbuste. C'est là son problème. Mais il en a d'autres. Il se fait vieux.

Namouche va d'une fenêtre à l'autre. D'ouest en est. Le jour sombre doucement. À l'ouest un mouvement furtif dans une branche d'arbre en contrebas capte son regard. C'est un petit rouge-gorge qui vient de se poser sur l'extrémité tronquée d'une branche de thuya. On voit l'arrondi orange de son petit torse, un soleil dans son panier, pensera-t-elle en revenant de l'autre fenêtre. Pour l'instant elle le regarde, conquise par sa présence immobile. Et sans prévenir, l'oiseau plonge dans la haie voisine. Elle essaie de le suivre aux mouvements dansants des feuilles qu'il anime par en-dessous, explorant, ou jouant, ou faisant de-ci de-là sa cueillette de rien.
Namouche occupe l'ennui. Elle apprivoise son désœuvrement, y découvre des charmes cachés. Elle a fait un petit saut à l'autre fenêtre, côté est. C'est tellement doux, toute la chaleur du rouge vient s'écraser là sur les toits étagés du quartier, les tuiles dans leur intimité cramoisie, silencieuse, de quoi fondre face à tant de beauté.
D'avoir laissé la progression cachée du rouge-gorge dans le feuillage lustré du laurier elle y trouve l'ombre progressée. A l'est aussi les toits déjà éteints – à moins qu'elle n'ait sombré dans un bref endormissement. Cueillie par la nuit furtive de fin novembre.

Un peu de pluie très fine s'est invitée discrètement. Jérôme est sorti, il n'avait pris chapeau ni imper ni parapluie, il ne s'est pas aperçu qu'il pleuvait en silence, avant de patauger des sandales dans les flaques. Il a rendez-vous avec Isabelle, dans trois semaines, mais il y pense déjà. Il s'habitue à sortir, à l'heure du rendez-vous.
Il est obligé de presser le pas. Pour se réchauffer. Pour aussi entrer dans le mouvement de la rue où fusent voitures, longent murs aux bords gris, trottoirs, rythme, rencontres croisées, multiples, insaisies, rythme, bien-être. Et brusquement il s'arrêtera, faisant mine de regarder, de chercher, et il reprendra le chemin en sens inverse jusqu'à la maison. Sans voir le petit corps chuter dans sa foulée.

photo r.t

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