Ratine marmonne contre un coin de molasse friable qu'il affectionne. C'est comme ça qu'il s'inscrit, qu'il marque son territoire de passage. On nous balaye contre les murs. On nous chasse au canon à eau. Dans la rue tous les matins c'est le grand ménage, il n'y a pas de place pour nous. On est obligé de se recroqueviller, de se faire invisible. Dans la boue, dans la neige, le sel, la crotte. L'hiver a sorti son cortège de bourrasques et de pluie. Mes orteils rouges et douloureux, mon nez gercé, mes côtes meurtries, je m'accroche comme je peux dans des encoignures de portes, contre des tôles, des gravats, des monticules de restes. Vivre accroché je l'ai toujours fait, enfant, accroché à ma mère qui me livrait, me retenait tout nu dans les mains de docteurs chirurgiens infirmiers, des faux barbiers, alors la guerre déferlait, un grand-père amputé en 14 ou en quinze, peut-être un orteil ou deux pas grand chose pourtant la boue l'ennemi, le fils de quatre ans parcourant avec sa mère les hostos, tiré dans un chariot à terre toxicosé pourquoi et l'autre grand-père gazé et mort finalement quand la deuxième guerre arrive, sa fille marquée aussi mais par la grâce de la madone petite Lorette au survivant, cadeau, cadette, en 45 la neige quand ils s'épousent, la cadette et l'autre survivant entre des otages fusillés, mes parents. Savaient-ils bien quoi faire de leurs petits baby boomers, sur qui déferlait leur mémoire sans protection. On nous chasse, heureusement, une génération chasse l'autre.
photo r.t
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