En plongée dans le manuscrit d'Isabelle Pouchin, le Journal de Sarah.
La mort est au cœur de tout roman. Si elle n'y est pas, la vie ne s'y trouve pas non plus.
Ici, elle l'imprègne, mais presque en douceur... en profondeur douce-amère.
Quand la vie ne cesse d'éclater et de tournebouler, elle, la mort, est l'immersion discrète, le silence, la clé du temps. Elle a plutôt beau visage. Elle peut être bonne conteuse, aussi.
La mort est au cœur de tout roman. Si elle n'y est pas, la vie ne s'y trouve pas non plus.
Ici, elle l'imprègne, mais presque en douceur... en profondeur douce-amère.
Quand la vie ne cesse d'éclater et de tournebouler, elle, la mort, est l'immersion discrète, le silence, la clé du temps. Elle a plutôt beau visage. Elle peut être bonne conteuse, aussi.
« Je me suis juré de ne jamais finir comme mon grand-père. Et s’il y a une mort que j’admire, c’est celle de Tchekhov.
Un sacré coco, ce gars-là ! Un médecin également, mais un homme sensible et quel panache ! Est-ce parce qu’il souffrait de tuberculose, une tuberculose chronique qui ne lui lâchait que rarement le râble ? N’empêche qu’une heure avant de mourir, se sachant au bout du bout, il avait prié sa femme d’aller faire acheter du champagne, le meilleur, par le majordome de l’hôtel. Paris, hôtel grand luxe et les voilà tous les deux à trinquer, à maintenir coûte que coûte, d’un commun accord, une ambiance festive, leurs petits rires pouffés, leurs mains nouées à leurs coupes, un art, une leçon, tout pendant que la Garce dévale dans ses poumons, à lui, sacque et qu’il sue, crache du sang dans des spasmes de damné, qu’importe ! Quel pied de nez magistral, à boire le verre de l’insolence, tout en humant le bouquet de roses jaunes, ses préférées, qu’il a fait monter dans la chambre aux draps chiffrés. Apportez-moi la vie dans un vase, avait-il exigé, apportez-moi des fleurs jaunes, un plein soleil mental. Puis ce vieux gosse, frotté de révolte et de romantisme était mort en caressant les lourds pétales soufrés ; le vin d’empathie bu jusqu’à la dernière goutte. Sa femme avait fermé ses paupières, avait remonté le drap jusqu’à son menton ; elle n’avait pas pleuré, elle n’avait pas prié ; pas encore. Elle avait fini sa coupe de champagne. Son rire chuchoté avait légèrement secoué la suite lambrissée, gentiment gai, impertinent ; elle lui avait promis. Elle dura ainsi une heure, trois, davantage, à boire à son grand homme, jusqu’au moment où elle dut convenir qu’il fallait prévenir la réception. Parce que l’autre, l’aimé, le délectable et le drôle, ah, le rayonnant commençait à sentir ; puisqu’il fallait. Même si souvent, on resterait ainsi, des jours, à accompagner. Elle avait essuyé ses larmes, elle avait embrassé son trésor, n’avait pas sursauté quand elle avait senti la peau de ses joues lisse comme une assiette, désormais. Avec des lividités. Un bizarre retroussis des lèvres, aussi. Puisqu’il fallait prévenir. Elle rangea le massacre des coupes. Elle ramassa, jeta les pétales pavoisant le lit, les bris de l’autel scandaleux, puis elle sonna. Quand le directeur pénétra dans la chambre, il ne vit qu’une vieille femme esseulée, pâle, roidie dans sa peine de dame. »
Un sacré coco, ce gars-là ! Un médecin également, mais un homme sensible et quel panache ! Est-ce parce qu’il souffrait de tuberculose, une tuberculose chronique qui ne lui lâchait que rarement le râble ? N’empêche qu’une heure avant de mourir, se sachant au bout du bout, il avait prié sa femme d’aller faire acheter du champagne, le meilleur, par le majordome de l’hôtel. Paris, hôtel grand luxe et les voilà tous les deux à trinquer, à maintenir coûte que coûte, d’un commun accord, une ambiance festive, leurs petits rires pouffés, leurs mains nouées à leurs coupes, un art, une leçon, tout pendant que la Garce dévale dans ses poumons, à lui, sacque et qu’il sue, crache du sang dans des spasmes de damné, qu’importe ! Quel pied de nez magistral, à boire le verre de l’insolence, tout en humant le bouquet de roses jaunes, ses préférées, qu’il a fait monter dans la chambre aux draps chiffrés. Apportez-moi la vie dans un vase, avait-il exigé, apportez-moi des fleurs jaunes, un plein soleil mental. Puis ce vieux gosse, frotté de révolte et de romantisme était mort en caressant les lourds pétales soufrés ; le vin d’empathie bu jusqu’à la dernière goutte. Sa femme avait fermé ses paupières, avait remonté le drap jusqu’à son menton ; elle n’avait pas pleuré, elle n’avait pas prié ; pas encore. Elle avait fini sa coupe de champagne. Son rire chuchoté avait légèrement secoué la suite lambrissée, gentiment gai, impertinent ; elle lui avait promis. Elle dura ainsi une heure, trois, davantage, à boire à son grand homme, jusqu’au moment où elle dut convenir qu’il fallait prévenir la réception. Parce que l’autre, l’aimé, le délectable et le drôle, ah, le rayonnant commençait à sentir ; puisqu’il fallait. Même si souvent, on resterait ainsi, des jours, à accompagner. Elle avait essuyé ses larmes, elle avait embrassé son trésor, n’avait pas sursauté quand elle avait senti la peau de ses joues lisse comme une assiette, désormais. Avec des lividités. Un bizarre retroussis des lèvres, aussi. Puisqu’il fallait prévenir. Elle rangea le massacre des coupes. Elle ramassa, jeta les pétales pavoisant le lit, les bris de l’autel scandaleux, puis elle sonna. Quand le directeur pénétra dans la chambre, il ne vit qu’une vieille femme esseulée, pâle, roidie dans sa peine de dame. »
photo Jan Versweyveld, La cerisaie, mis en scène par Simon Mc Burney, 2019

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