Aurore aux doigts de rose

Avant de refermer Maupassant, je voudrais retrouver un passage que j'avais en mémoire, en m'éveillant. C'est l'aurore, il est baigné de vie. Il regagne son bateau, peut-être. Un oiseau s'envole au-dessus de sa tête. Mais là, merveille de la vie, personne pour mettre en joue et tirer. Il n'y pense même pas... La beauté simple. On croirait du Flaubert.
Maupassant. Le beau nom, noir corbeau.
C'est une écriture tendue. Non pas en apparence, mais au-dedans. Tendue par tout ce que je sais d'elle — ce que j'entends résonner. C'est toute la sensibilité accumulée qui lui donne sa tension. (Mais elle sera insupportable dans le Horla. Maudite maladie. Mal passant. J'ai toujours été malade : lui aussi pourrait le dire. Mais ça ne se voyait pas, ça lui donnait une urgence, une tension, une sensibilité.)
Mais qu'en sais-je, au juste ? De tout ce qui ne se voit pas et que l'on sent résonner, dans une écriture, qu'en est-il... en quelle part cela vient-il de moi, cela vient-il de l'autre... où sont les frontières de l'écriture ?
A la fin de ce recueil, "sur l'eau", il écrit :

Il me reste à demander pardon pour avoir ainsi parlé de moi. J'avais écrit pour moi seul ce journal de rêvasseries, ou plutôt j'avais profité de ma solitude flottante pour arrêter les idées errantes qui traversent notre esprit comme des oiseaux.
On me demande de publier ces pages sans suite, sans composition, sans art, qui vont l'une derrière l'autre sans raison et finissent brusquement, sans motif, parce qu'un coup de vent a terminé mon voyage.
Je cède à ce désir. J'ai peut-être tort.

Je n'ai pas retrouvé le passage que je cherchais. En feuilletant le livre, ceci m'arrête :

J'aime cette heure froide et légère du matin, lorsque l'homme dort encore et que s'éveille la terre. L'air est plein de frissons mystérieux que ne connaissent point les attardés du lit. On aspire, on boit, on voit la vie qui renaît, la vie matérielle du monde, la vie qui parcourt les astres et dont le secret est notre immense tourment.
Raymond disait :
— Nous aurons vent d'est tantôt.
Bernard répondit :
— Je croirais plutôt à un vent d'ouest.

Une page passa devant :

Dès que nous fûmes dans la passe, entre la jetée et le fort carré, le yacht, plus ardent, accéléra sa marche et sembla s'animer comme si une gaieté fût entrée en lui. Il dansait sur les vagues légères, innombrables et basses, sillons mouvants d'une plaine illimitée. Il sentait la vie de la mer en sortant de l'eau morte du port.

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