Nuit et jour


Le grand problème restait d'écrire les yeux fermés, dans le noir, sans se lever, sans s'asseoir, sans chasser l'inconfort du corps douloureux qui hébergeait des courants capricieux surgissant et s'enfonçant sans relâche.
La résolution est dans l'énoncé. Alors la nuit se mêle au soleil, la musique se compose – parfois dans l'oubli, l'oubli est le signe d'une réussite, le sommeil emporte tout dans une vague – y a-t-il des tomates ? Non, peu, et pas encore très bonnes, il faut que l'été continue  à faire son chemin. A l'ombre des paniers les histoires se faufilent, se glissent, les gens comme les vers et les insectes sont en vie, les rencontres se font, se manquent, s'évitent – "Le père" de Maupassant semble creux comme le passage de l'omnibus mais c'est justement en cela que la vie y est entrée et l'habite toujours. Cet homme aimait véritablement les femmes, et pas seulement comme on le croit. Il en a fait les plus beaux portraits. Elles sont toujours plus vivantes, plus aimantes, plus admirables que leurs chasseurs, leurs prédateurs. Il se conforte avec Flaubert pour les peindre. Cet homme qui ne peut pas être père ("veut pas" me dirait le lecteur du texte), il est le symptôme de honte de tout un peuple de chasseurs grossiers et criminels, il ne le sait pas, il porte le traumatisme de tout un peuple de mâles inférieurs, de sans-amour. La question habite, sans être soulevée. On sent son poids.
L'auteur des "contes du jour et de la nuit" me rend visite, et je vais coup sur coup avec lui dans des endroits inconnus, aussitôt oubliés, comme depuis hier soir la lune se cache dans des niches de nuages, joueuse, barricadée, laissant voir tantôt un sourcil, un morceau de joue, très brillants. s'enfonçant derrière ses volets comme des masques, les noircit, les éclaire de l'intérieur.
Je ne suis pas mécontent d'être si longtemps là d'où l'on écrit, où l'on gâche de la lumière et du temps. Champ contre champ, plans superposés. Je reviens à Maupassant, il s'en tient au "réalisme". C'est bien assez éloquent, c'est bien assez transparent. Dans le premier conte on lit le journal – le père Boniface, le facteur, préfère les faits divers, "Nom de nom, y a-t-il tout de même des gens qui sont canailles !" Il a bien trouvé dans sa sacoche de quoi s'angoisser, de quoi se faire tirer le portrait. Tiens donc ! c'est dans le Gil Blas du 24 juin 1884 que paraît Le crime au père Boniface sous la signature de Guy de Maupassant. Un journal, finalement, c'est la lune qui se montre, qui se cache. Le romancier, dit-il quelque part, c'est la révélation qui l'intéresse, comme un photographe. "La psychologie doit être cachée dans le livre comme elle est cachée en réalité sous les faits dans l’existence."
A rester longtemps dans ce clair-obscur là où l'on écrit, j'ai l'impression qu'après le concert des amis m'ont ramené chez moi et, sans rien me dire, laissé au coin de la rue sur le trottoir. Je me rendors. Je découvre que Jean Vigna est véritablement un héritier de Maupassant. Non pas héritage d'objet ou de savoir mais d'un fluide qui court, à travers l'art, anime le regard, le désir. Le filet d'une même lumière en partage.
Avant l'aube, le premiers oiseaux picorent le voile encore gris-bleu du ciel, ils se pressent en sons fruités. La lumière va naître doucement, avant que viennent crier et virevolter les martinets. Maintenant le soir, puissant soleil et les merles caquettent.

Karel Appel, 1950
Guy de Maupassant

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