Les yeux fermés


Elle croise un jeune garçon qui ne mange pas les miettes des oiseaux qu'on lui donne dévotement. Il est en pierre. Mais elle sait lire dans cette pierre quelque chose qui n'y est plus gravé depuis longtemps mais qu'elle devine encore. Comme le devinait peut-être sa grand-mère la vieille Huê qui n'a pas eu le temps de la connaître mais qui lui a laissé des miettes, comme aux oiseaux, et qui a soufflé dessus. Elles ne sont pas venues sur son berceau mais elles sont restées dans le bleu du ciel, de jour comme de nuit, entre les étoiles et sur les ailes des papillons.
Aujourd'hui je lui écris.
Je lui écris parce qu'elle a vu des cygnes.
Moi aussi j'ai marché longtemps sur la terre et me voilà m'amenuisant pour rejoindre l'espace des oies. Le médecin dit que j'ai de la graisse qui s'est accumulée ici et là, derrière l'épaule, dans les chevilles, même si ma silhouette ressemble à celle du kangourou enfant, avec juste une petite poche de ventre qu'on voit de profil et je n'ai guère pour nourriture que quelques végétaux. Saute ! Saute ! le kangourou ! ai-je entendu sur mon passage.
J'écris à celle qui disparaît entre les herbes pour voir les cygnes qui viennent se baigner à l'aube. Je perds le sommeil. Je le cherche au bord de la rivière. Je repère le héron cendré. J'entends le moulin des oiseaux et des cigales qui m'engloutit ce qui reste de science et de raison. J'ouvre la forêt des livres et je grimpe dans ses arbres. Marie Cosnay qui traduit si bien les Métamorphoses d'Ovide me parle à l'oreille. Moi je t'écris en fermant en ouvrant le livre, en fermant en ouvrant les yeux dans l'imagination des dieux et celle des mortels qui croyaient aux dieux sans y réfléchir, qui croyaient surtout à la beauté des arbres et des mers et des vents, à leurs terreurs et à leurs hypnoses.
J'écris à celles qui sont des papillons. Je me rendors, je me réveille. J'écris enfin les yeux fermés, même au crayon.

Les Métamorphoses, Ovide, traduction de Marie Cosnay
Photo Lanlan Hue

Commentaires

  1. L'évocation de celle, amie, dont la silhouette, dans ce poème à elle adressé, disparaît en hautes herbes, dans l'attente des cygnes (signes?) et hérons cendrés, rapprochée ici, de Marie Cosnay si inspirante et des doigts déliés de la statue rencontrée en promenade méditante, me touche infiniment.

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  2. Merci de cette douce fantaisie, qui sait ce que deviennent nos métamorphoses ;-) et le temps ne serait-il pas courbe !
    Belle soirée à toi cher René

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