Ce n'est que lorsque je me suis posé la bonne question (quelle était-elle, au juste ?) que le chemin s'est élargi, que l'air s'est posé et libéré, que les grands arbres ont explosé de feuilles fraîches, se sont remplis d'oiseaux et que la rivière majestueuse s'est mise à couler, silencieuse ; c'est alors que les mouvements de l'air, de l'eau, des feuilles, ont brusquement sauté dans les arbres, envahissant de vie frémissante sans limites tout l'espace du monde : la vivante Nature !
Pourtant tout ici avait été redessiné, replanté, réaménagé par l'homme, jusqu'au banc sur lequel j'étais assis, au livre que j'avais dans les mains, aux mots que j'utilisais pour penser.
Et notre place humaine était infime, diffuse dans la danse du vent.
Ma lecture jouait au travers des branches, comme mes pensées de promeneur. Le livre sautait d'un lieu à un autre, d'un temps à un autre. Les scènes racontées étaient saisissantes. Des flamboiements de vies et de morts apparaissaient, disparaissaient au long des pages, les regards fouillaient et ciselaient les êtres, comme les fleurs et les plantes qui croissaient le long de la rivière, les oiseaux couraient, les fenêtres s'ouvraient dans la pensée.
Une page du roman de Michel Tournier faisait surgir "Ahmed ben Salem, portraitiste officiel et peintre du palais" qui étonnait par la vérité et la beauté de ses portraits. Il faisait cette réponse au sanguinaire Barberousse :
— C'est qu'il faut faire entrer le temps dans le jeu du portrait.
— Quel temps ?
Baberousse voulait savoir.
Chaïm Soutine, autoportrait au rideau, 1917
Michel Tournier, La goutte d'or.
Soutine, le temps du tableau et celui du peintre...
RépondreSupprimer