du journal de la rivière
Toutes les époques, tous les lieux, toutes les vies sont différentes. Ce long soir d'été les martinets restent à sillonner le ciel en tous sens, lançant leurs cris au passage sous les fenêtres, entre les toits, ou en jaillissant très haut comme des gerbes de feux d'artifice. Leurs jeux aux parcours croisés, regroupés, leurs courses en duos ou en équipes, en trios, jonctions et disjonctions, frôlements et dispersions, toute une indéchiffrable géométrie les tient en effervescence, en ivresse comme mon admiration. Bientôt traverse le ciel de leurs jeux le vol régulier de gros oiseaux noirs, tranquillement s'étageant vers le sud en peloton éparpillé : une bande de feux rejoignant leur campement.
Puis le silence se fait, les martinets sont rentrés eux aussi comme faisaient les enfants que nous étions dans un autre temps, où l'on jouait dans les rues tard les soirs d'été, sur les appels de nos mères, la tête ivre de nos jeux de marelle, de course aux voleurs, ou de touche-touche. Le silence dans le ciel qui s'attarde à rester clair dans un soir sans fin car il prolonge ma longue promenade après la forte chaleur du jour, au bord de l'eau qui courait large et régulière, interminablement entre ses rives pleines, claire entre les ombrages, silencieuse alors qu'on entendait une rumeur lointaine, confuse, apportée par le trafic routier.
Je lisais en marchant. J'avais trouvé un livre qui s'y prêtait, que j'avais tiré de ma poche assez grande, si bien que je pouvais marcher librement sans bagage comme je l'aimais, marcher, flâner, danser, lire aussi, pourquoi pas, comme le faisaient les curés en soutane, dans mon enfance — leur bréviaire, appelaient-ils ce livre qu'ils entouraient de mystère et de sérieux, et qui leur permettait certainement de se donner une contenance, mais pour faire quoi ? Paresser peut-être, tout simplement.
J'avais photographié un jour quelqu'un qui lisait en marchant et quelque chose était passé, peut-être de lui à moi (ou de moi à lui), à mon insu d'abord, mais au fil du temps ou au fil de l'eau, son image me restait, sa démarche absorbée dans le voyage de la lecture. Et c'est aussi un voyage que je faisais vers ce livre, d'un autre temps, d'un autre lieu, "journal d'un prisonnier de l'après-guerre" disait son sous-titre, comme si la guerre maintenait après elle ses prisonniers. C'était une façon de parler avant l'heure de syndrome post-traumatique. Mais j'étais porté à penser que c'était la vie même qui nous maintenait, tous, dans un état de traumatisés, un état de rêve où l'on peine à savoir pourquoi est-ce ainsi, ainsi ou autrement, toujours différemment pour chacun mais jamais certain, jamais sans inquiétude, sans incompréhension, sans un étonnement qui finit par nous bouleverser irrémédiablement et c'est pour ça que nous lisons.
Puis le silence se fait, les martinets sont rentrés eux aussi comme faisaient les enfants que nous étions dans un autre temps, où l'on jouait dans les rues tard les soirs d'été, sur les appels de nos mères, la tête ivre de nos jeux de marelle, de course aux voleurs, ou de touche-touche. Le silence dans le ciel qui s'attarde à rester clair dans un soir sans fin car il prolonge ma longue promenade après la forte chaleur du jour, au bord de l'eau qui courait large et régulière, interminablement entre ses rives pleines, claire entre les ombrages, silencieuse alors qu'on entendait une rumeur lointaine, confuse, apportée par le trafic routier.
Je lisais en marchant. J'avais trouvé un livre qui s'y prêtait, que j'avais tiré de ma poche assez grande, si bien que je pouvais marcher librement sans bagage comme je l'aimais, marcher, flâner, danser, lire aussi, pourquoi pas, comme le faisaient les curés en soutane, dans mon enfance — leur bréviaire, appelaient-ils ce livre qu'ils entouraient de mystère et de sérieux, et qui leur permettait certainement de se donner une contenance, mais pour faire quoi ? Paresser peut-être, tout simplement.
J'avais photographié un jour quelqu'un qui lisait en marchant et quelque chose était passé, peut-être de lui à moi (ou de moi à lui), à mon insu d'abord, mais au fil du temps ou au fil de l'eau, son image me restait, sa démarche absorbée dans le voyage de la lecture. Et c'est aussi un voyage que je faisais vers ce livre, d'un autre temps, d'un autre lieu, "journal d'un prisonnier de l'après-guerre" disait son sous-titre, comme si la guerre maintenait après elle ses prisonniers. C'était une façon de parler avant l'heure de syndrome post-traumatique. Mais j'étais porté à penser que c'était la vie même qui nous maintenait, tous, dans un état de traumatisés, un état de rêve où l'on peine à savoir pourquoi est-ce ainsi, ainsi ou autrement, toujours différemment pour chacun mais jamais certain, jamais sans inquiétude, sans incompréhension, sans un étonnement qui finit par nous bouleverser irrémédiablement et c'est pour ça que nous lisons.
à propos du livre de Georges Hyvernaud, Le wagon à vaches, 1953
photo r.t
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