La soirée est calme. Le soleil a sombré aux confins du paysage obstrué par des maisons de trois, quatre étages et les arbres qui les flanquent. Elles se sont accumulées au fil des quelque dix ou quinze ans qu'il habite là. Au début on voyait la ligne bleue de la montagne qui ondulait à l'horizon. Là, il y a toujours les beaux soirs bleus et orange qui emplissent le ciel longtemps après la chute du soleil.
C'est un appartement où les fenêtres sont hautes et verticales et c'est ce qui l'a retenu. Il a le souvenir de toutes les maisons ou appartements qu'il a habités, par leurs fenêtres. Il n'en a peut-être pas pris conscience en y vivant mais tous ces lieux ont existé avant tout par leurs fenêtres. Maintenant il peut les évoquer toutes, depuis l'enfance, leur proche présence, leur compagnonnage, leur complicité totale dans sa confiance en ses rêves, en son avenir ou même tout simplement en sa présence au monde. Les fenêtres étaient les premiers compagnons vers lesquels il se tournait en arrivant quelque part, et sont les derniers qui lui restent dans ses souvenirs des lieux. C'est sans doute pourquoi l'histoire de "Momus" l'a tellement emballé — lui qui réclamait une fenêtre pour un homme (comment Vulcain avait-il pu concevoir une créature humaine sans la doter d'une fenêtre !)
Dans son appartement il y a des fenêtres à l'ouest et d'autres à l'est. C'est tout ce qui lui importe. La lumière entre d'un côté à l'autre, et ce soir en tournant la tête vers l'est il a vu que dans les toitures ou la frange de montagne au-dessus — ou le ciel —, il y avait, en plein milieu, un rectangle vertical qui ressemblait à une peinture de Rothko, orange et bleue, ou blanc, orange et bleu, ou jaune et bleu, comme une petite fenêtre verticale au centre de la grande fenêtre élargie par le paysage — une petite fenêtre qui prenait sa place et son temps avant de disparaître, et réapparaître, et de laquelle il prenait conscience graduellement. C'était peut-être une remémoration de la fenêtre ouest où le soleil venait de se coucher, mais surtout c'était une représentation évidente d'un tableau de Rothko. En toute simplicité, Rothko était devenu, à force de présence, de détermination, d'attention, cette juste évidence d'une présence partagée. Une vie de peintre pour donner cela.
A l'ouest ce soir la fenêtre est un théâtre. Tout autour, la cuisine s'efface dans une brume de lumière blanche (un led), qui contraste avec les lueurs chaudes du théâtre dans la fenêtre, en attente dans la pénombre du décor où on entrevoit des façades étagées de petites fenêtres étroites orangées, rosées, rougeoyantes — une ici ou là s'éteignant ou s'allumant dans le silence feutré, le relâchement satisfait des spectateurs qui s'installent avant l'entrée en scène des artistes, le tout, ce théâtre, inscrit dans le rectangle vertical de sa fenêtre, le transportant quelques siècles auparavant, chez Goldoni, Shakespeare, ou Carl Philipp Emanuel Bach. Tout ceci, ses bonheurs s'actualisant, lui devenant proches, alors que les martinets sont absents, peut-être partis déjà très haut pour dormir dans des couches d'air inaccessibles, ou bien désertant la région où la nourriture se fait rare, car on ne voit plus d'insectes briller dans le faisceau de la lumière des lampadaires.
C'est un appartement où les fenêtres sont hautes et verticales et c'est ce qui l'a retenu. Il a le souvenir de toutes les maisons ou appartements qu'il a habités, par leurs fenêtres. Il n'en a peut-être pas pris conscience en y vivant mais tous ces lieux ont existé avant tout par leurs fenêtres. Maintenant il peut les évoquer toutes, depuis l'enfance, leur proche présence, leur compagnonnage, leur complicité totale dans sa confiance en ses rêves, en son avenir ou même tout simplement en sa présence au monde. Les fenêtres étaient les premiers compagnons vers lesquels il se tournait en arrivant quelque part, et sont les derniers qui lui restent dans ses souvenirs des lieux. C'est sans doute pourquoi l'histoire de "Momus" l'a tellement emballé — lui qui réclamait une fenêtre pour un homme (comment Vulcain avait-il pu concevoir une créature humaine sans la doter d'une fenêtre !)
Dans son appartement il y a des fenêtres à l'ouest et d'autres à l'est. C'est tout ce qui lui importe. La lumière entre d'un côté à l'autre, et ce soir en tournant la tête vers l'est il a vu que dans les toitures ou la frange de montagne au-dessus — ou le ciel —, il y avait, en plein milieu, un rectangle vertical qui ressemblait à une peinture de Rothko, orange et bleue, ou blanc, orange et bleu, ou jaune et bleu, comme une petite fenêtre verticale au centre de la grande fenêtre élargie par le paysage — une petite fenêtre qui prenait sa place et son temps avant de disparaître, et réapparaître, et de laquelle il prenait conscience graduellement. C'était peut-être une remémoration de la fenêtre ouest où le soleil venait de se coucher, mais surtout c'était une représentation évidente d'un tableau de Rothko. En toute simplicité, Rothko était devenu, à force de présence, de détermination, d'attention, cette juste évidence d'une présence partagée. Une vie de peintre pour donner cela.
A l'ouest ce soir la fenêtre est un théâtre. Tout autour, la cuisine s'efface dans une brume de lumière blanche (un led), qui contraste avec les lueurs chaudes du théâtre dans la fenêtre, en attente dans la pénombre du décor où on entrevoit des façades étagées de petites fenêtres étroites orangées, rosées, rougeoyantes — une ici ou là s'éteignant ou s'allumant dans le silence feutré, le relâchement satisfait des spectateurs qui s'installent avant l'entrée en scène des artistes, le tout, ce théâtre, inscrit dans le rectangle vertical de sa fenêtre, le transportant quelques siècles auparavant, chez Goldoni, Shakespeare, ou Carl Philipp Emanuel Bach. Tout ceci, ses bonheurs s'actualisant, lui devenant proches, alors que les martinets sont absents, peut-être partis déjà très haut pour dormir dans des couches d'air inaccessibles, ou bien désertant la région où la nourriture se fait rare, car on ne voit plus d'insectes briller dans le faisceau de la lumière des lampadaires.
photo r.t
Momus ou les confidences d'un père, Isabelle Pouchin, éditions Gaspard Nocturne, 2019
Momus ou les confidences d'un père, Isabelle Pouchin, éditions Gaspard Nocturne, 2019
Commentaires
Enregistrer un commentaire