du journal de la rivière
Il est parti sur le chemin que tu vois là...
Quelque chose comme un camion-poubelle ramassant à grand bruit — un raffut inhabituel — de grondement continu, de coups sourds répétés, comme des effondrements.
Puis le silence s'était installé.
J'avais perçu une pointe d'odeur fade, agréable. Je m'étais levé, vu la double tache humide sur mon pyjama. Toute une sourde sensation remuait dans le ventre, une sorte de douleur douce qui montait éclore. Il y avait une belle tache de lumière dorée sur le mur. J'étais allé prendre ma douche.
Dehors, les murs flambaient déjà de soleil.
Je fuis. La rivière est boueuse et puissante. Elle est haute, et précipite ses remous à l'assaut des arches du pont, et des rives, dans le large courant. Grise et brune, nourrie de schistes et de terre, elle traverse à grand flot la ville en rumeur — il est l'heure de se déverser dans les rues, de quitter le travail, les usines, les chantiers, les bureaux, de migrer vers ses quartiers du soir. Je vais comme elle, sans me retourner — sans ivresse, sans bateau, sans fantôme. A nouveau frais, près des vents, prêt à être vent, respir, égal des dieux qu'on a rêvés. Les inconnus, au-devant de tout, sans redites, oublieux des histoires d'amour avec les mortelles.
Puis revenu de là, frais comme le vent, entier comme l'eau, imprévisible.
Henri Matisse, La Moulade, 1905
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