Des dieux de lecture

Momus ou les confidences d'un père.

Je place ce dernier livre au plus haut parmi ceux d'Isabelle Pouchin, avec Basilius Besler et son amour profane, avec Chagall et sa longue lettre au fils, avec Berthe et Emma, la sauvageonne et la noble bourgeoise... ce livre descendu tout droit d'un clin d’œil de Momus, le dieu voyeur mais compatissant qu'Isabelle Pouchin met en scène, furtivement dans le roman, ce qui suffit pour placer cette histoire très actuelle, plongée dans la soupe comme vous le verrez, et non moins sublime, la placer au niveau des dieux de l'Olympe et même plus haut. Ludo pourrait bien ressembler à Phaéton et son père serait Phébus lui-même, vaincu par l'amour pour le fils qu'il a eu, d'insouciance, avec une mortelle. Ce qui n'est qu'une extrapolation personnelle due au passage inoubliable du char du dieu solaire en ma lecture des Métamorphoses d'Ovide traduit par Marie Cosnay.


En effet, Ludo gisait inerte sur son lit pas défait ; une pénombre bleue clapotant sur les murs, sur ses cheveux. Des vases. J’ai commencé par allumer. Immédiatement, Ludo s’est détendu tel un ressort "Tu me fais mal aux yeux, éteins !"
Je n’ai pas éteint, je me suis assis sur sa chaise, bien droit, j’ai décoché encore plus vite que lui "Tu n’as rien compris au tableau du Caravage, tu n’as rien vu ! Mais regarde attentivement, oui, regarde les ailes de l’ange violoniste !
— Papa, la lumière me fait mal aux yeux et je suis fatigué, on reprendra cette conversation une autre fois.
— Ce n’est pas une conversation, l’ai-je coupé. Je te laisse une heure. Quand je reviens, tu as réfléchi. Tu m’expliques ce qui permet à cet ange musicien de jouer comme un dieu. Les conditions préalables à sa réussite, tu les trouves et tu me les exposes. Une heure ; pas davantage. Car c’est bien ce que tu t’es assigné comme but à ta vie, n’est-ce pas, de jouer comme un dieu. Alors regarde ce tableau, regarde bien. Je reviens dans une heure."

Puis j’ai claqué la porte de sa chambre.
Claire attendait dans le couloir.
Quand je suis passé devant elle, ses mains éreintaient son éternel mouchoir.

J’aurais voulu la prendre dans mes bras.

Je me suis enfermé dans mon bureau.
Parfois il faut savoir museler sa gueule.
Claire, dans le corridor, marchant, tournant, faisant claquer ses mules, tordant ses mains, de fatigue, d’impuissance. D’amour.                         Momus ou les confidences d'un père, p.51


À peine il a fini, Phaéton demande le char paternel,
pour un jour le droit de conduire les chevaux ailés.
Le père regrette d'avoir juré. Trois fois, quatre fois
il secoue sa tête claire. "Paroles folles, dit-il,
que les miennes, dictées par les tiennes. Ce que j'ai promis, si je pouvais
ne pas le donner ! J'avoue, c'est la seule chose, enfant, que je te refuserais.
Je dois te dissuader : ton voeu n'est pas sûr,
tu demandes beaucoup, Phaéton : ni à tes forces
ce cadeau ne convient, ni à tes années d'enfance.
Ton sort est mortel ; ce que tu veux n'est pas d'un mortel.
Tu cherches plus que ce que peuvent les dieux,
ignorant ; tu as confiance en toi, d'accord,
mais personne n'est assez fort pour s'installer sur le char de feu,
sauf moi ; même le maître du vaste Olympe
qui lance de sa main terrible la foudre féroce
ne conduira pas mon char – et qu'y a-t-il de plus grand que Jupiter ?
La route du début est escarpée et avec peine, frais au matin,
mes chevaux la gravissent ; au milieu, elle est très haute dans le ciel.
De là, moi-même, souvent, de voir mers et terres
j'ai peur, ma poitrine tremble d'une terreur épouvantable.
À la fin la route descend, il faut une conduite sûre :
Thétys, qui dans ses eaux de dessous m'accueille,
craint toujours que je n'y sois précipité...             Les métamorphoses, Livre II, 46 à 69

Deux lithographies de Pierre Boncompain 

Commentaires

  1. Marie Cosnay et "Les métamorphoses", qu'elle traduit d'Ovide... D'Arachné, je deviendrai Echo pour répéter : Oui, ces titres, oui Momus, ces lectures, nous nous le sommes dit et, Echo, je le redis, elles nous sont divines; ici, avec les lithographies de Pierre Boncompain, le risque désiré par Phaéton, de métamorphoses en devenirs, de formes en formes, elles jalonnent la voie, celle qui est sous nos pieds.

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