Ici est le chemin des bœufs, un ancien chemin de halage, la promenade y est propice à la sensation de l'histoire. Les bœufs y étaient-ils esclaves ou compagnons de travail... s'inquiétait-on de leur demander, je ne sais pas. Il est probable que leur travail était considéré comme allant de soi, contribuant au travail humain. Il y étaient au premier niveau, le second était à peine mieux, ouvriers et paysans trimaient, d'autres commerçaient et les étages supérieurs donnaient les ordres, ou profitaient. Il fallait éviter d'être philosophe et s'y lancer sans penser de travers. Pourtant, enfant, on est philosophe naturellement et on demande pourquoi ? On imagine la vie. Mais l'homme y met bon ordre. Penser n'est pas de mise, tous les métiers d'étage inférieur le savent. Les révolutions sont trop coûteuses. De même que la folie du bandit, du poète ou du musicien. Rester dans l'ordre pour rester dans le monde. Sortir du monde est trop coûteux. Pourtant on en sort tout de même, finalement. Les gens que je vois passer ici sur le chemin sont souvent âgés, marchant à petits pas, silencieusement, ou avec difficulté, se retirant doucement.
Odeur de vase délicieuse, arrivant avec la chaleur qui monte de l'eau, mêlée de frais parfums d'herbe et de fleurs. J'aime ma condition d'artiste raté. Je n'en voudrais pas d'autre. C'est la mienne. Elle est mon résultat. Je connais tous les travers, les erreurs, les réussites qui l'ont amené. C'est un résultat provisoire, mais il me convient, déjà.
Une petite araignée vient à ma rencontre, sur ma feuille, puis sur ma main. Elle s'y trouve bien, elle se frotte les mandibules. Elle est très belle et très leste. La voilà sur mon épaule. Elle apprécie comme moi ce soleil. Je la sens sur mon oreille, chatouilleuse. Les passants me saluent, nous échangeons quelques mots de satisfaction : le soleil est si bon. Je suis conscient de travailler lorsque je ne fais rien. Et c'est au fond le propre du travail, car il est évident que l'on travaille comme on respire. De cette respiration qui anime tout organisme, inspirer/expirer, intérioriser/extérioriser. Ainsi est la vie, cette petite usine, cette forme animée qui reçoit et redonne et, au passage, se fait fleur, fourmi, femme et homme, reproduisant inlassablement tout en les modifiant sans cesse, ses compétences.
Odeur de vase délicieuse, arrivant avec la chaleur qui monte de l'eau, mêlée de frais parfums d'herbe et de fleurs. J'aime ma condition d'artiste raté. Je n'en voudrais pas d'autre. C'est la mienne. Elle est mon résultat. Je connais tous les travers, les erreurs, les réussites qui l'ont amené. C'est un résultat provisoire, mais il me convient, déjà.
Une petite araignée vient à ma rencontre, sur ma feuille, puis sur ma main. Elle s'y trouve bien, elle se frotte les mandibules. Elle est très belle et très leste. La voilà sur mon épaule. Elle apprécie comme moi ce soleil. Je la sens sur mon oreille, chatouilleuse. Les passants me saluent, nous échangeons quelques mots de satisfaction : le soleil est si bon. Je suis conscient de travailler lorsque je ne fais rien. Et c'est au fond le propre du travail, car il est évident que l'on travaille comme on respire. De cette respiration qui anime tout organisme, inspirer/expirer, intérioriser/extérioriser. Ainsi est la vie, cette petite usine, cette forme animée qui reçoit et redonne et, au passage, se fait fleur, fourmi, femme et homme, reproduisant inlassablement tout en les modifiant sans cesse, ses compétences.
Les voix, les rumeurs, proches, lointaines, distinctes, diffuses, les chants d'oiseaux, sifflements ou mélodies – certaines phrases simples répétées comme une chanson sifflée par un humain et d'autres très virtuoses, piquées, tintant comme cristal –, l'intonation très musicale de la langue anglaise enjouée d'un jeune couple, le son cliquetant d'un moulinet de pêcheur, le choc des boules de pétanque, tous ces sons mais aussi l'air, ses modulations fraîches ou tièdes, les conversations ronronnantes, tout cela s'unifie dans un savant concert à l'acoustique parfaitement réglée pour mon oreille, d'une complexité harmonieuse aisée à suivre, délicieuse en ses rebondissements, ses mouvements lents et rapides, ses variations, ses combinaisons. Un concert offert à tous les sens, la peau caressée, le regard placé au centre du spectacle parmi l'eau, la terre et le ciel odorant. Ses prouesses surprenantes, son enchantement renouvelé dans l'écoute attentive, entrent en nous de façon naturelle, profondément, pour y demeurer, source inépuisable et inconsciente de créativité, de désirs, de hantises. Et je me demande ce que serait pour chacun, toute une vie bien respirée.
...la vie, cette petite usine...toute une vie bien respirée..Très beau. merci!
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