Le monde sensible

J'ai mal dormi. Le corps était dans une mer agitée. Des repères lancinants, des messages confus devenaient progressivement plus clairs, plus audibles. Et j'ai vu que c'était cette photo, surtout. Pourtant c'est une photo presque vide, pauvre en tous cas, immobile, rien ne s'y passe. C'est une rue morte, ou plutôt une rue éteinte, vidée de sa vie. Il y en avait une autre derrière, une que j'avais vue la veille aussi, sur Internet. Je n'ai pas de télévision, je ne suis pas saturé d'images violentes ni de discours tonitruants. Mais forcément je suis au courant et je suis atteint par toutes ces actualités, tous ces coups venus du monde et des médias.
Je ne vis pas sur une autre planète mais quand même, je vis surtout dans une autre part de la planète — celle qui est encore à sauver, justement. Je ne dis pas que je la sauve en la regardant, en essayant d'y rester sensible, mais quand même, la question est bien là : de rester sensible. Les coups sont tellement forts, répétés et incessants, les chocs traumatiques, les sidérations, le refuge dans l'insensibilité est général — nécessaire — c'est un mode de vie.
Donc ces 2 photos, si différentes des autres, sans mouvement, sans couleur, sans vacarme, 2 rues de 2 villages différents de 2 régions de France m'avaient profondément parlé de l'insensibilité, du traumatisme, de la mort. Elles avaient ce gris, cette rigidité cadavérique.
Cette mort était voulue, perpétrée par les forces de l'ordre du pouvoir pervers qui allait faire son "grand débat" avec le peuple au milieu de chacun de ces 2 îlots de mort où il avait séquestré ses otages.
Maintenant peut revenir la respiration, rentrer l'air frais par la fenêtre, par la porte qui s'ouvrent : d'autres comme moi cherchent, regardent, écoutent cette autre part, la part sensible et, si elle perdue parmi les hommes, la trouvent, infime, dans les fleurs.
Une recherche montre que les fleurs peuvent entendre les abeilles, leur nectar n'en est que plus sucré.

Peinture de Franco Gentilini
Photo
nationalgeographic.com

Commentaires

  1. Il me semble, à lire ce texte, avoir sur la langue le nectar plus sucré des fleurs!

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  2. Toute photographie est ontologiquement pauvre: elle ne transmet ni le chant vibrant des abeilles ni les odeurs enivrantes du nectar des fleurs...Faut faire avec car il vaut mieux nec-tard que jamais...
    Bon début de semaine lumineuse et chal-heureuse!

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  3. magie des images et des mots, je suis touchée par la fragilité de ces fleurs face à la violence

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