"De père légalement inconnu" de Françoise Cloarec

Malgré son titre impressionnant, c'est un livre qui reste léger.
L'impression que j'en garde tient dans ma main, comme dans mon cœur. Il a quelque chose d'un oiseau. C'est cela l'écriture, elle transforme les signes d'imprimerie en oiseau, ou d'autre chose, mais seulement quand l'auteur est magicien. Ce livre-oiseau, tel qu'une fois lu je le revois, ce sont ses pages assemblées par courts chapitres qui entre eux laissent des espaces, des temps, des distances — de sorte que le lecteur n'oublie pas de rêver, de réfléchir, de s'abandonner aux échos, aux questions. Ainsi l'objet est à l'image de ce qui est raconté : la vie trouée, morcelée, amputée, d'une enfant. Mais pas seulement d'elle car c'est aussi la vie de beaucoup d'autres, du fait des guerres, qu'elles soient ou non coloniales comme dans ce cas, l'Indochine. Toutes les guerres produisent ces vies catastrophiques de femmes, d'hommes, d'enfants.
Ici, on s'attache à des vies particulières que l'on suit de très près, à les sentir respirer, comme on sent l'odeur de la mer, qui fait un grand trou en même temps qu'elle peut combler des vides, comme elle porte les hommes sur son dos.
Tout cela est déchiré. Mais aussi cousu, brodé, avec de petits exergues en tête des chapitres, comme on voit dans les mains des femmes et des hommes la soie délicate de l'Asie et la broderie bretonne, qui signifient beaucoup.
Je dirai de ce très beau livre, ainsi que du paquebot qui est en son centre, qu'il prend en charge des vies : ce qui peut se dire et ce qui peut s'éprouver.
L'oiseau se transforme en bateau, le livre qui peut tout transporter.
Et à la fin du voyage, à la fin de la lecture, on est comblé comme à la fin d'une belle fiction. On sait aussi que jamais quelque chose n'a été aussi vrai.
La littérature n'échoue pas, là où l'information-spectacle martèle, décuple l'invisibilité, suramplifie la sidération, le livre est le seul qui nous parle à l'oreille et au cœur, dans toutes les langues qu'on veut.

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